Il était déjà tard en Kalimdor. La pleine lune demeurait bien haut dans le ciel et diffusait sa douce lumière sur la forêt d’Orneval. Le silence règnait parmi les arbres, seuls les bruits des animaux nocturnes, et les hurlements de quelques meutes de loups venaient de temps en temps briser ce calme féerique.
La route qui traverse Orneval d’Est en Ouest semblait déserte, seule une silhouette furtive, quittant l’avant-poste du Chant des Forêts, se hâtait en direction d’Astranaar. Montée sur un Sabre-Tempête, celle-ci se révéla être une Elfe de la Nuit, vêtue de noir et armée de deux longues dagues. Elle filait à toute vitesse, tentant d’éviter la moindre créature hostile, et surtout le camp de Satyrnaar, peuplé de ces immondes Satyres. En temps normal, elle en aurait occis des dizaines, comme par le passé, mais depuis quelques mois, l’Elfe n’était plus seule…
Le Sabre-Tempête galopait à toute allure, il semblait voler au-dessus de la route, mais soudain, il s’arrêta net sur un pont. Relevant la tête, sa cavalière devine la silhouette d’un Orc, juché sur un loup. Elle le reconnut, c’est un habitué des lieux, un voltigeur du camp Chanteguerre, dont l’unique occupation semblait être de sillonner inlassablement le même chemin.
- Tu sembles bien pressée, l’Elfe, lança le voltigeur. D’habitude tu t’arrêtes toujours en chemin pour corriger quelques Satyres, d’autant plus que cela fait quelques mois que tu n’es pas sortie de ton camp.
- Pas maintenant, je n’ai pas le temps, lui répondit-elle en grimaçant. Je… ne peux pas.
L’Orc intrigué s’approcha de la cavalière, qu’il avait de nombreuses fois croisée par le passé, échangeant quelques mots. La haine que tous deux nourrissaient envers les Satyres les avait quelque peu rapprochés, mais en cette nuit, il ne reconnaissait pas cette Elfe qu’il avait connue plus vive. Il essayait de comprendre pourquoi elle restait recroquevillée sur elle-même, il l’observa et écarquilla les yeux :
- Laelya, tu es folle de sortir dans ton état, tu n’aurais pas du quitter le camp de Chant des Forêts. Tu dois faire demi-tour, je vais t’y accompagner si…
- Non, coupa l’Elfe. Je ne veux pas. Les Satyres sont trop proches, ils préparent une attaque contre notre camp. Et je ne veux pas que mon enfant vienne au monde là-bas, avec la corruption comme décor. Avec son père, nous devons nous retrouver à Astranaar.
- Tu sembles proche du terme, tu aurais dû partir bien plus tôt.
- Je sais, répondit Laelya, mais l’enfant ne devait venir que dans trois semaines d’après les prêtres. Les douleurs ont commencé dès que je suis sortie du camp…comme s’il voulait naître cette nuit précisément, c’est très étrange.
Soudain, des bruits sourds et des lueurs interrompirent la discussion. Satyrnaar semblait s’être mis en marche…
- Laelya tu dois partir, murmura l’Orc, ils viennent pour toi.
- Quoi ? Pour moi ? Mais…
- Leur chef, le Prince Raze, a mis ta tête à prix, tu as fait trop de ravages là-bas. Et dans ton état tu ne pourra pas te défendre bien longtemps.
- Et toi ? Il faut que tu t’en ailles aussi, s’inquiéta l’Elfe. Toi aussi tu as fait pas mal de dégâts chez les Satyres.
- Je vais les attirer sur une fausse piste, sourit le voltigeur en dégainant son arme. Laelya, ils sont déjà sur la route, impossible de retourner au Chant des Forêts. Pars, LAELYA, PARS !!
L’Elfe de la Nuit et l’Orc se séparèrent donc précipitamment. Tandis que Laelya coupa à travers la forêt pour gagner Astranaar, où le père de son enfant, venu en toute hâte de Reflet de Lune, devait la rejoindre, l’Orc tentait d’entraîner toute l’armée du Prince Raze loin de l’Elfe. Rongée par les douleurs d’une naissance proche, Laelya se cramponnait à sa monture, qui courait à perdre haleine dans l’épais bois d’Orneval. Mais le galop du Sabre-Tempête, aussi doux et fluide soit-il ne faisait qu’accentuer ses souffrances. Peu après être passée le poste de Bois Brisé, dont elle devina les lueurs, l’Elfe de la Nuit se rendit à l’évidence qu’elle ne pourrait plus continuer à cette allure, et donner naissance à son enfant dans la sécurité d’Astranaar. Laelya se mit en quête d’un endroit où elle pourrait enfanter. Ralentissant sa monture, elle scrutait autour d’elle, cherchant un abri, mais même ses yeux d’elfe ne virent rien. Les douleurs se faisaient de plus en plus violentes, mais le Sabre-Tempête, même au pas rapide, continuait d’avancer, le plus près possible d’Astranaar. Il franchit le pont sur le Falfarren, puis s’arrêta. Laelya se redressa du mieux qu’elle put, et distingua sur sa gauche un petit sentier, que les rayons de la lune, filtrant à travers le feuillage, semblaient illuminer. Elle s’y engagea, et parvint à une petite clairière, au centre de laquelle se trouvait un Puits de Lune, baignant dans la lueur de l’astre de la nuit. Péniblement, Laelya descendit de son Sabre-Tempête, et se dirigea recroquevillée vers le Puits. L’Elfe ôta son armure de cuir, ne gardant qu’une légère tunique sur elle. Laelya saisit également sa ceinture, qu’elle plia en deux et serra entre ses dents. Elle mordit dans le cuir, afin d’éviter de crier et de signaler ainsi sa présence à des créatures hostiles, puis elle s’allongea dans l’eau sacrée, et se prépara pour la mise au monde de cet enfant si pressé de voir la nuit.
- Nantar, Nantar, as-tu vu Laelya ? Interrogea anxieusement un Elfe à la stature fière.
- Je regrette Caradras, elle n’est pas encore arrivée, répondit le marchand. Demande à l’aubergiste, peut-être en sait-elle plus que moi.
- Je lui ai déjà demandé, elle me dit qu’aucune Elfe enceinte n’est arrivée depuis des Lunes.
Caradras tournait en rond à Astranaar, scrutant désespérément vers l’Est, attendant de voir la silhouette de Laelya.
- Par Elune, s’inquiéta-t-il, cela n’est pas normal, cela fait des heures qu’elle aurait dû être là. Et avec les raids que mènent les Satyres contre le Chant des Forêts, cela ne me dit rien de bon.
- Attend encore un moment, Caradras, elle va arriver, dit Nantar d’une voix apaisante. N’es-tu pas souvent en retard toi-même ?
- Tu as raison, moi, je ne suis pas très ponctuel. Mais Laelya, elle, est toujours à l’heure, s’emporta Caradras. Non, je vais aller la chercher, quitte à retourner tout Orneval, ajouta l’Elfe en saisissant son arc et son carquois.
- Attend, si tu y vas, tu auras sûrement besoin de ceci, dit le marchand en tendant une boîte remplie de bandages et de potions de premiers soins au chasseur, qui accrochait encore une épée et une dague à sa ceinture. Alors que ce dernier quitta Astranaar en direction de l’Est, Nantar lui cria :
- Qu’Elune te guide, Caradras, qu’elle vous protège, Laelya et toi…
Le chasseur lança sa monture à toute allure en direction du Refuge de Vent-Argent, où il interrogea les Sentinelles mais sans succès. Il continua sa route vers la retraite de Raynebois, mais là aussi, personne, ni même les Dryades, n’avaient vu la femme qu’il aime. Redoutant le pire, il décida d’aller questionner les Orcs de Bois-Brisé, de gré ou de force.
Parcourant la route en trombe, Caradras et son Sabre-de-Givre, franchirent le pont sur la Falfarren et atteignirent quelques instant plus tard la croisée qui permet de continuer soit vers l’Est, vers le Chant des Forêts, soit vers le Sud en direction des Tarides. Là, il entendit les buissons à sa droite remuer…quelque chose de grand arrivait. Le chasseur se mit à l’affût, prêt à décocher une pluie de flèches sur ce qui sortirait des fourrés. Mais ce qu’il vit le stupéfia…
Des arbustes, un petit groupe de Satyres déboula en vitesse, poursuivis par une meute de loups, qui les harcelait, ils passèrent à la droite de Caradras, sans même le remarquer, mais ils furent stoppés par deux ours énormes. Les puissants plantigrades envoyèrent les démons voler dans les airs, à peine avaient-ils réalisé ce qu’il leur était arrivés que ces derniers succombèrent sous les crocs des loups.
L’Elfe n’en cru pas ses yeux ; il sortit de son affût et regagna la route où un Orc monté sur un gros loup semblait l’attendre. Il paraissait lui aussi hébété par ce qui venait de se produire.
- Est-ce là votre magie l’Elfe ? Est-ce vous qui avez appelé les animaux de la forêt pour détruire l’armée des Satyres? Demanda celui-ci, encore sous le choc.
- Quoi ? De quoi parles-tu, Orc ? Nous ne sommes plus capables de réaliser un tel prodige seuls. Caradras était tout aussi surpris que le Peau-Verte. Par Elune, mais que ce passe-t-il dans cette forêt ? Que fais-tu ici, Orc ?
Le Hordeux descendit de sa monture et s’approcha du chasseur. Il lui raconta comment il avait attiré l’armée du Prince Raze loin d’une Elfe sur le point d’accoucher, et comment la Nature elle-même, mobilisant arbres et animaux semblait avoir décidé de détruire cette armée démoniaque. A ces mots, Caradras sursauta :
- Cette Elfe, s’appelait-elle Laelya ? Montait-elle un Sabre-Tempête ?
- A voir ta réaction, je suppose qu’il s’agit de celle que tu aimes ? dit le voltigeur avec un sourire. Elle est partie vers l’Ouest, vers votre ville d’Astranaar. En tout cas, je peux t’assurer qu’elle n’est pas de ce côté-ci du fleuve Falfarren, sinon je l’aurais vue à force de poursuivre les Satyres survivants.
Caradras se rendit compte du sacrifice que l’Orc avait fait pour permettre à Laelya de distancer le Prince Raze. Il le remercia autant qu’il put, et fit demi-tour. Passé à nouveau le Falfarren, il se mit en quête de traces. Ses talents de chasseurs lui révélèrent une foule d’empreintes, donc celle d’une monture de Darnassus, qui semblait porter une charge relativement pesante, qu’il suivit en priant Elune pour que ce soit celles du Sabre-Tempête de sa bien-aimée. La piste l’amena sur un petit chemin baigné par les rayons de la lune, puis il arriva dans une clairière sur laquelle était bâti un puits de Lune.
- Caradras… c’est toi ? demanda une petite voix épuisée.
Au milieu du puits, appuyée contre les pierres entourant l’eau sacrée, une frêle silhouette repliée sur elle-même levait la tête en direction du chasseur.
- Laelya ? Laelya tu es là ! cria Caradras en se précipitant vers elle. J’étais fou d’inquiétude, mais que…
Il s’interrompit brusquement lorsque Laelya redressa le haut de son corps, tenant une petite chose dans ses bras, qu’elle avait enveloppée dans sa cape de fourrure.
- Regarde…Caradras… regarde ta fille, comme elle est magnifique, lui répondit Laelya.
Les bras tremblant, il pris le petit être et le serra fort contre lui.
- Elle te ressemble tellement, Laelya, articula le chasseur, la voix chargée d’émotion.
- Regarde, elle a tes marques sur le visage, ajouta faiblement sa bien-aimée.
L’Elfe enleva son manteau et y enveloppa Laelya et la petite enfant. Il fit ensuite un feu et prépara un campement de fortune, car ces dernières étaient encore trop faibles pour rejoindre Vent-Argent, le refuge le plus proche. Une fois installés, il soigna la jolie Elfe exténuée par les épreuves qu’elle venait de subir, usant des quelques remèdes que Nantar lui avait donnés. Laelya ne tarda pas à s’endormir, sa petite fille serrée contre elle, sous l’œil bienveillant de Caradras, qui veilla toute la nuit. Celui-ci, ne put s’empêcher de penser aux nombreux événements qui entourèrent cette naissance. Qu’est-ce qui avait poussé sa bien-aimée à enfanter ici, précisément, dans un Puits de Lune ? L’eau sacrée qu’il contient a permis que la naissance se passe sans complications et préservé Laelya et leur fille. Et qu’est-ce qui a détruit une grande partie de l’armée du Prince Raze ? Cela l’intriguait énormément, il y songea jusqu’au matin. Lorsque le soleil vint réchauffer les deux Elfes endormis, il ne faisait plus aucun doute pour Caradras que sa fille était née sous la protection d’Elune.
En fin de matinée, Laelya avait repris suffisamment de forces pour atteindre le refuge de Vent-Argent. De là ils gagneraient Astranaar une fois qu’elle serait rétablie. Laelya prit l’enfant sur sa monture, tandis que Caradras montait une garde vigilante. La petite troupe arriva finalement à l’entrée du refuge, où ils passeraient quelques jours. Un vieux druide de passage s’avança vers le couple et s’entretint un moment avec les deux Elfes. Etrangement, il savait tout des événements de la nuit précédente. Il se pencha ensuite sur la fille qui venait de naître, passa sa main sur sa tête. Le druide se redressa ensuite et s’adressa à Caradras et Laelya :
- Cette enfant vivra de nombreuses aventures, mais aussi un grand nombre d’épreuves. Mais n’ayez aucune crainte, Elune veille sur elle.
Puis il ajouta :
- Je sais beaucoup de choses de ce qui s’est passé cette nuit. Mais je ne sais pas une chose, que vous, vous savez…
- Laquelle ? demanda Caradras, surpris.
- Et comment avez-vous décidé de nommer la fille du Puits de Lune ?
- Alannah, répondit Laelya, elle se nomme Alannah…
Le druide sourit, puis, avant de prendre la forme d’un corbeau, il murmura :
- Alannah…oui…bien… fort bien…